domingo, 15 de noviembre de 2009

LA CIMADE A 70 ANS

LA CIMADE A 70 ANS
Il n’y a pas d’étrangers sur cette terre

L’affiche comportait seulement quelques mots. « En 2009, 30 000 expulsés de France. Derrière les chiffres se brisent des destins ». Cette phrase n’est pas un slogan, c’est un témoignage. Un témoignage venu des centres de rétention où La Cimade rencontre chaque jour des hommes et des femmes. Des hommes et des femmes bien réels, non pas des statistiques. Chaque expulsion est une vie brisée. Chaque expulsion représente l’humiliation d’être rejeté. Et La Cimade choisit la perspective des expulsés, ces personnes indésirables, pour dénoncer la politique du chiffre qui expulse en méprisant les vies humaines, et pour réclamer une autre politique, plus humaine et plus juste.
Cette ligne de conduite n’est pas nouvelle. Depuis 70 ans, elle constitue la ligne de force qui traverse toute l’histoire de La Cimade : se situer aux côtés des exclus, les accompagner dans la conquête et la défense de leurs droits, résister contre les lois injustes, témoigner et interpeller les pouvoirs et les consciences.
C’est en se plaçant aux côtés des étrangers, des exilés, des émigrés, arrivés en France au gré des bouleversements du XXème siècle que les hommes et femmes qui composent La Cimade ont appris à voir et à s’indigner de l’intolérable, des violations des droits de l’Homme. Et à apporter leur contribution originale aux combats pour l’égale dignité des êtres humains.
Comme en écho, revient en mémoire ce qu’écrivait le résistant allemand Dietrich Bonhoeffer depuis sa prison en 1942, théologien dont les réflexions ont nourri l’action des premiers membres de La Cimade : « Cela reste une expérience d’une incomparable valeur, que nous ayons appris à voir les grands évènements de l’histoire du monde à partir d’en bas, de la perspective des exclus, des suspects, des maltraités, des sans pouvoirs, des opprimés et des bafoués ».
Aujourd’hui, plus que jamais, l’actualité de La Cimade aux côté des étrangers est dense, le combat âpre. Alors pourquoi choisir de se pencher sur la mémoire de l’association ? Sans doute parce que cette mémoire nous invite à rester vigilant.
Les engagements de La Cimade suivent l’histoire du siècle. Ses barbaries et ses espoirs. Parfois seule, souvent aux côtés d’autres, La Cimade a pris part aux combats emblématiques pour la défense des droits humains : dans les camps d’internements de la seconde guerre mondiale et dans la résistance, aux côté des Algériens au moment de la guerre d’indépendance, avec les réfugiés contre les dictatures militaires en Amérique Latine et en Afrique et auprès de centaines de milliers d’étrangers en France, pour défendre l’égalité des droits. Elle a aussi pratiqué avec persévérance l’accueil de l’étranger au quotidien dans de nombreuses villes de France. Apprendre de l’histoire, c’est aussi en considérer les aveuglements. Ainsi, paralysée comme beaucoup d’autres par la guerre froide, La Cimade, si elle a accueilli des réfugiés de l’Est, ne s’est pas exprimée sur les violations des droits de l’Homme dans le camp dit socialiste.
La richesse de l’histoire de La Cimade se transcrit aujourd’hui dans la diversité de ses formes d’action et de ses membres. Elle est à la fois un mouvement de militants en marche, attentifs aux signes des temps, désireux de défricher des chemins nouveaux de solidarité ici et là bas. Une association de la société civile convaincue qu’en luttant pour le respect des plus vulnérables on renforce les valeurs fondatrices de notre démocratie. Une voix exigeante qui cherche un langage du sens pour dénoncer les politiques et les pratiques basées sur la peur et le rejet de l’autre. Une organisation œcuménique qui garde vivante, dans la diversité des convictions de chacun de ses membres, la référence qui a contribué à la mettre debout, cet esprit de résistance et de solidarité : celle qui prend sa source dans le message de l’évangile porteur d’une dynamique de libération pour tous les êtres humains.
Raconter l’histoire de La Cimade c’est parler au présent. En tentant de donner corps à cette mémoire collective, nous cherchons à penser ensemble, aujourd’hui, une éthique de la responsabilité.
La conviction est la réplique à la crise : « […] l’intolérable me transforme, de fuyard ou de spectateur désintéressé, en homme de conviction qui découvre en créant et crée en découvrant », disait Paul Ricoeur. Alors que nous vivons cette Europe qui se barricade, stigmatise et expulse, cette histoire nous invite à mieux questionner le présent, et imaginer demain. En appelant à bâtir des ponts et pas des murs entre les êtres humains, les communautés et les peuples. En invitant chacun à élargir l’espace de sa tente pour accueillir l’autre et à partager la conviction qu’on ne peut vivre pleinement son humanité qu’en relation avec les autres : l’humanité passe par l’autre.

Geneviève Jacques
Engagée à La Cimade depuis 1965, secrétaire générale de 1988 à 1996

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